L’ « Alya mentale » ou la fragmentation communautaire en marche

Publié le par Oscar.Abdelaziz

 

 

 

La « guerre » de Gaza a donné lieu à des manifestations sans précédent en France. Nous avons pu, à cette occasion, mesurer les progrès de la fragmentation communautaire de la France depuis une dizaine d’années.

Plutôt que de tenter de l’endiguer, le pouvoir actuel, incarné par le Président de la République l’a entérinée et l’encourage désormais. Sûrement l’irrésistible attrait du modèle américain.

Le communautarisme de la population maghrébine est abondamment étudié et décrit. Mon propos concerne un autre communautarisme.

Le repli communautaire qui a, semble-t-il, le plus avancé est celui de la communauté juive française. Les raisons sont multiples, et les agressions antisémites, inexcusables, y sont pour beaucoup. Mais ce repli a d’autres racines.

J’aimerai revenir à quelques faits et dits que j’estime révélateurs de ce lent repli, qui ont jalonné ce profond mouvement et qui continuent de m’interroger.

 

Antisionisme et antisémitisme.

 

L’appel à une manifestation pour le soutien à Israël le 4 janvier 2009 a été le seul appel exclusivement communautaire durant cette période. Il a été le fait du Conseil Représentative des Institutions Juives de Frances (CRIF) et d’associations communautaires juives satellites.

La manifestation pour la fin des bombardements à Gaza dépassait le cadre ethnique ou communautaire, même si des organisations communautaires et religieuses y étaient représentées.

Au terme de la manifestation du CRIF, j’ai été choqué d’entendre M.Richard Prasquier, son président, affirmer que 95% des Juifs approuvaient l’attaque d’Israël contre le Hamas à Gaza. C’est une véritable prise d’otage de toute une communauté par son représentant. La quasi absence de réaction m’a laissé tout aussi perplexe. Je soupçonne M.Prasquier de vouloir, à travers cette déclaration, achever son œuvre d’assimilation de l’antisionisme à l’antisémitisme. Je définis l’antisionisme comme une lutte politique contre une forme de colonialisme et non comme une opposition à l’établissement d’un Etat juif en Palestine.

Je continue de penser que l’antisionisme n’entraîne pas l’antisémitisme. Ce qui me différencie de M.Prasquier et de certains imams attiseurs de flammes.

Je continue également de penser qu’il faut lutter contre l’antisémitisme au même titre que tout autre forme de racisme, sans exclusive et avec fermeté.

 

Les manifestations pour la fin de la guerre, injustement qualifiées de pro palestiniennes voire de pro Hamas dans les colonnes de l’hebdomadaire Le Point ou du site communautaire Causeur.fr, ont montré une jeunesse défiler pacifiquement dans des cortèges. Des incidents et des mots d’ordre violents ont certes été constatés. Mais les cortèges étaient loin d’être constitués selon l’ethnie ou la religion. Je retiens que l’adoption par des jeunes de banlieue, jusque là assimilés à des casseurs et brûleurs de voitures, de cette forme d’expression collective qu’est la manifestation constitue une avancée. Je doute que la haine envers Israël ou les Juifs soit le motif de leur mobilisation. Comme je ne doute pas qu’il y a une identification plus évidente avec le peuple de Gaza qu’avec le peuple martyrisé du Darfour. Je crois qu’une politisation de cette jeunesse est le meilleur rempart à sa radicalisation.

 

    

Importation du conflit israélo-palestinien  et soutien inconditionnel.

 

Durant cette série de manifestations en France, on pouvait lire ou entendre qu’un risque d’importation du conflit israélo-palestinien se faisait jour. Je pense que cette importation est déjà ancienne, mais que son expression est nouvelle et plus visible.

Importer ce conflit dans l’espace politique français, cela signifie en faire un sujet de débats, de désaccord voire d’affrontements mais aussi un élément clivant, idéologique pour les uns et communautaire pour les autres.

Importer ce conflit, c’est aussi éluder, occulter ou distordre des réalités historiques, géographiques et politiques qui dérangent.

Renoncer à rendre compte du drame que vivent les Palestiniens depuis soixante ans, comme il a été justement rendu compte du drame bosniaque, tchétchène ou darfouri démontre que cette importation du conflit a cours depuis longtemps en France.

L’autocensure sur la question palestinienne pratiquée jusqu’alors par certains intellectuels de renom devient tout à coup embarrassante.

Lorsque je lis les tribunes et autres témoignages de M.Bernard Henri Lévy,  M.Glucksmann ou encore de M. Luc Rosenzweig dans Le Monde, Le Point, le JDD ou Causeur.fr, l’objectif est toujours le même in fine : justifier les actions d’Israël quelles qu’elles soient.

C’est le sempiternel soutien inconditionnel à Israël, érigé en principe par le président du Crif, qui prend le dessus.

La question que je me pose est simple : un intellectuel ou un philosophe peut-il encore être crédible s’il extrait du champ du rationnel tout un pan de sa réflexion, qui relève dès lors du passionnel ?

La notion de soutien inconditionnel n’est-elle pas contradictoire avec la recherche de la vérité et de l’impartialité ?

Ma conviction est que l’attitude de nombres d’intellectuels « amis d’Israël » comme ils aiment à se définir, conduit à une incohérence idéologique que leurs contorsions rhétoriques ne pourront plus éviter longtemps. Que restera-t-il alors des valeurs universalistes qu’ils ont défendues ?

A un journaliste palestinien qui lui demandait de compatir au sort réservé aux Palestiniens occupés, Claude Lanzmann a répondu qu’il n’avait qu’à faire un film comme lui avait fait « Shoa ».

Je considérais jusque là que ce film documentaire avait une portée universelle.

Arno Klarsfeld suggérait à son contradicteur du jour d’exiger la solidarité financière des vingt deux pays arabes « frères » pour les Palestiniens comme Israël le fait avec les Juifs de la Diaspora.Affligeant.

Nous assistons à une espèce de surenchère du « meilleur allié d’Israël », encouragée par les autorités israéliennes pour des raisons de survie démographique évidentes. L’exploitation des dramatiques actes antisémites dans les médias communautaires pour encourager l’Alya (montée vers Israël) des Juifs de France est à ce titre systématique.

Cette surenchère peut prendre une forme surprenante en donnant lieu à un double discours. Ainsi, mon étonnement fut grand quand j’entendis un jour Frédéric Encel, remarquable géopoliticien, discourir sur les implantations en la Judée et Samarie sur Radio J. Le même n’évoque plus que la Cisjordanie et ses colonies lorsqu’il s’exprime sur des médias non communautaires. C’est également le cas d’Alexandre Adler, qui ne manque jamais de flatter l’auditoire des médias communautaires.

Je trouve ce genre d’attitude irresponsable, comme est coupable la volonté d’entretenir le rêve de Jérusalem, « capitale une et indivisible d’Israël », au mépris des résolutions de l’ONU.

Le courage en politique s’exerce d’abord contre les siens.

Je décèle comme une forme de culpabilité à ne pas vivre en Israël qu’il faut compenser par un engagement maximaliste, comme s’il fallait être plus royaliste que le roi pour être apprécié de ses congénères.

Je dis que cette forme d’« Alya mentale », constatée chez de nombreuses personnalités médiatiques ne rend pas service. Ni à la sérénité des débats en France à propos d’un conflit qui ne touche pas directement la France, ni à la clarté des positionnements politiques, ni à la lutte contre l’antisémitisme qui souffrira de son assimilation systématique à l’antisionisme.

 

Que mon propos ne prête le flanc à aucune équivoque ou suspicion :

la sympathie, la solidarité ou l’amour que l’on peut éprouver pour un peuple ou un pays est légitime. Dès lors que l’on se dit intellectuel ou philosophe libre une limite s’impose. Cette limite s’appelle la raison (qui est indissociable de l’honnêteté intellectuelle).

 

Je pense que l’existence d’Israël est une chance pour chaque Juif à travers le monde et que son avenir doit être garanti. Je crois que l’existence d’Israël est aussi une chance pour les pays et plus encore pour les peuples qui l’entourent.

Je pense également qu’Israël doit être traité comme un pays comme un autre. Avec toutes ses spécificités et dans toute sa complexité. Mais sans romantisme désormais.

 

Ma déception est grande de voir tomber dans cet aveuglement passionnel nombre d’esprits brillants.

Mon modèle n’est pas celui d’un Amérique des lobbies en tous genres.

De grâce ressaisissez-vous ! Et luttez avec nous contre tous les replis communautaires. Leur progression nous précipite chaque jour vers la défaite de l’idéal républicain français.

 

 

Oscar.A.

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans Analyse

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H
enfin un article interressant , l auteur ne doit pas etre socialiste
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